Une nuit de plus (Libre)

La lueur de l'écran de télévision se projetait faiblement dans l'ensemble du salon, empêchant ainsi la pièce d'être plongée dans l'obscurité la plus totale. Johan était allongé sur le canapé, le regard fixé sur un film dont il ignorait l'histoire et encore moins les dialogues puisque le son avait été coupé. Les nuits lui étaient des plus longues depuis sa 'renaissance', ayant encore les habitudes de son dernier hôte qui était un excellent insomniaque. Comme chaque nuit, vers les deux heures du matin, Johan préférait occuper le salon que d'attendre dans son lit où il finirait par en sortir de toute façon.
Redevenir soi-même était un travail bien plus compliqué que prévu, il fallait délaisser les six dernières années concernant Johan, se défaire de toutes les habitudes qui lui avait été inculquées, oublier tous les souvenirs qu'il avait encaissé et qui ne lui appartenait pas. Posséder une personne aussi longtemps n'avait pas été sans conséquence, mais tout pouvait s'arranger...tout du moins s'est ce qui avait été dit.

Aucun signe de fatigue contrairement au programme de télévision qui n'annonçait rien de très passionnant à une heure aussi tardive ; rediffusion d'émissions, de séries, de films, de documentaires déjà vu la nuit dernière. Bientôt la télévision ne suffirait plus à passer le temps, en fait c'était déjà le cas. Alors Johan dégageait le canapé pour quelques minutes, le temps de se rendre en cuisine pour boire un verre d'eau, puis revenir devant cet écran de télévision.

Dans quelques heures seulement, une nouvelle journée allait commencer. Une journée aussi longue que la nuit, puisqu'il fallait lutter contre le sommeil qui se montrait en tout début de matinée. Une horloge interne complètement déréglée qui avait eu le temps de cerner le regard de Johan. Ce dernier qui – un jour – avait essayé de se doper avec un grand nombre de verre de jus d'orange, espérant absorber suffisamment de vitamine...mais cet essai n'avait pas été des plus parlant. L’excès de jus d'orange avait plutôt réveillé un dégoût complet pour cette boisson, même l'odeur avait le don de lui retourner l'estomac. Bref, Johan savait qu'il n'était pas des meilleurs pour trouver un remède miracle.

La télécommande en main, il répéta un tour de chaîne, de la première à la dernière, appuyant machinalement sur le bouton, sans montrer le moindre intérêt à chacune des chaînes qui passaient à l'écran.

[... If that's the last words I'll ever speak, please set me free]

01H43, dans la chambre de Glacya et Dusty.

Un soupire se fait entendre sous l'amas de couette de Dusty. Deux heure moins le quart et toujours pas dans les bras de Morphée. Peut-être qu'elle pourrait prendre l'un de ses somnifère ? Mais a cette heure-ci, elle dormirait jusqu'à point d'heure au matin... Alors la jeune fille se relevait, dans sa chemise de nuit de satin vermeille, puis elle s'installait sur sa table au grand miroir où elle passait le plus clair de son temps dans sa chambre pour se coiffer et ses maquiller. Elle se scrutait quelques minutes, insatisfaite. Ce regard plein de rancœur, cette bouche toujours pincée... elle détestait haïr le monde. Et pourtant elle n'avait pas le choix. Elle n'avait plus le choix, en somme. Dusty tournait la tête vers sa " camarade " de chambrée qu'elle ne portait pas plus dans son coeur que le reste de ce qu composait cet institut. Elle dormait, bien évidemment. Alors soupirant, Dusty attrapait un fin peignoir de la même couleur que sa nuisette, puis elle sortait de la chambre sans réellement savoir pourquoi.
Il n'y avait aucun bruit dans les couloirs, et c'était plausible a une heure pareille. D'ailleurs, elle commençait a se demander pourquoi elle était sortie de sa chambre. Mais elle fût vite sortie de ses pensées en apercevant une certaine lueur mouvante dans le salon. Marchant sur la pointe des pieds, elle plissait légèrement les yeux pour tenter de découvrir qui se cachait ici a une heure aussi tardive, puis elle haussait les sourcils en découvrant qu'il s'agissait de Johan.
Johan Desmer... un bien étrange élève, d'ailleurs. Mais étrangement, Dusty se sentie rassurée de constater que c'était lui aucun autre. Au fond, elle savait que ça ne pouvait être que lui. C'était comme ça a peu près toutes les nuits. Johan était comme un adolescent insomniaque qui n'en disait pas long sur lui. Un peu comme Dusty. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'en le voyant, elle se détendait et passait au frigo se servir de son jus de kiwi riche en vitamines qui l'aideraient pour le matin. Elle prenait également un verre pour Johan, ce qui fût bien étrange d'un oeil extérieur car Dusty ne servait jamais qu'elle même. Puis elle s'avançait vers le canapé.

- Alors Johan, encore tombé de ton lit ? lui dit-elle en s'asseyant, sans aucune intonation dans sa voix, comme une constatation exagérée.

Elle ouvrait sa bouteille du liquide vert et frais, puis s'en servait un grand verre avant de remplir celui du jeune homme qu'elle lui tendait sans le regarder, toujours aussi stoïque. Ne jamais laisser paraître ce que l'on ressent sincèrement.

- Bois ça, ça te redonnera de la pèche.

Et qu'elle idée de vouloir tenir le coup la nuit. Mais Dusty savait qu'elle ne se recoucherait probablement pas. D'ailleurs, c'était plus fort qu'elle, quand elle voyait Johan, elle se sentait comme poussée par une force invisible vers lui, afin de s'assurer qu'il n'était pas seul. Et au fond, cela la blessait. Elle se revoyait très bien toutes ces années auparavant, grande et princière, mais seule. Les uniques personnes a bien avoir voulu " jouer " avec elle n'étaient autres que leurs servantes et autres valets, pas très constructif pour une enfant dérangée.
Puis enfin, elle se permettait de prendre la télécommande des mains de Johan pour zapper a son tour. Il y avait une émission sur la méthode de chasse des lions, et Dusty s'arrêtait dessus en commentant.

- Tu vois Johan, je me sens un peu comme ce lion. Je sais que je peux tout diriger, mais il y aura toujours quelqu'un pour tenter de m'évincer en vain. Pourquoi les gens n'acceptent-ils pas le fait qu'ils sont inférieurs ?

Quelle garce. Oui, Dusty n'était autre qu'une garce. Mais c'était devenu maladif, et la jeune femme ne s'en rendait pas même compte.

- Et toi, tu vois comment dans tout ça ? lui demandait-elle en sirotant son jus de Kiwi.

Une compagnie des plus attentionnée, qui pourrait croire que Dusty Derris serait capable de penser à autre chose que sa petite personne ? Johan n'avait jamais réellement compris ce qui lui valait ce 'privilège', pourtant il n'avait rien fait pour, Dusty s'était seulement montrée ainsi depuis le début de cette amitié.
Si Johan avait écouté quelques personnes dans ce pensionnat, cette relation n'aurait certainement jamais vu le jour, tout comme ce moment ;

Tenant le verre de jus entre ses mains, Johan regardait ce liquide vert qui – d'après Dusty – pouvait avoir quelques bienfaits sur son état actuel. Une comparaison avec un lion qui semblait des plus sérieuse, faisant office d'introduction à une conversation dont la durée était encore indéterminée. Un bref sourire en coin, Johan avait l'impression d'avoir une petite fille à ses côtés, une petite fille qui s'étonnaient que personne ne veuille se soumettre à elle. Pourquoi apportait-elle autant d'importance sur le fait de vouloir tout contrôler, d'imposer sa supériorité qu'elle disait posséder ? Bien que Dusty était des plus agréables envers Johan, elle ne pouvait s'empêcher de montrer cette parcelle de sa personnalité qui était des plus déplaisante pour grand nombre de personnes.
L'avis de Johan sur ce sujet semblait être demandé. Buvant un petite gorgée de jus de kiwi, ressentant une certaine acidité sans pour autant trouver mauvais ce breuvage, le jeune Desmer réfléchit un instant, cherchant la manière dont-il allait tourner ses mots, la manière dont-il allait les choisir, il y' avait un avantage a être en bon terme avec Dusty Derris ; c'était de pouvoir lui faire entendre quelques paroles, sans pour autant la froisser.

- Si quelqu'un te traitait comme une moins de rien, tu n'apprécierais ? Demanda t-il, connaissant d'avance la réponse, sachant parfaitement que Dusty n'était pas du genre à baisser le regard, prête à prendre le dessus, jamais elle n'accepterais d'être considérée de la sorte. Je ne penses pas, tout le monde à un minimum de fierté ! Et puis, demande toi à l'occasion si ces gens sont aussi inférieurs que tu ne le crois...

Johan espérait avoir été clair, ayant prononcer chaque parole avec calme, ne cherchant certainement pas à vexer Dusty. Lui faire délicatement comprendre que ses idées sur les autres étaient des plus fausses, que rien ne prouvait sa supériorité. Ce comportement hautain ? Était-il véritable ou était-ce seulement un masque derrière lequel Dusty se planquait ? Il était temps pour Johan de comprendre un peu plus cette fille.

- Dis...pourquoi tu es si différente avec les autres ?

C'était bien la première fois qu'ils abordait le sujet. L'occasion parfaite pour Johan de poser son interrogation qui trottait dans sa tête depuis un petit moment déjà. Bien souvent, bien trop souvent même, certaines personnes mettaient en garde le jeune Desmer au sujet de Dusty ; Fait attention, c'est une vraie vipère ! Ou bien encore ; Elle te mijote quelques choses ! Méfie toi ! Cette fille n'a aucun cœur !
Les bruits qui courraient au sujet de Dusty n'était pas des plus élogieux, bien souvent traitée de 'garce', de 'sorcière' ou d'autres titres bien plus réducteurs et grossiers, il avait fallut que d'une simple et unique journée pour comprendre que Dusty Derris était la personne la plus maudite de l'Institut.Comment partager cet avis ? Johan ne pouvait pas, il avait déjà essayer de défendre discrètement l'image de Dusty, mais rien à faire, elle semblait condamnée à être - et à rester - une véritable peste aux yeux de tous. Il était clair que la jeune fille ne faisait rien pour arranger les choses, Johan le voyait bien, plus les gens la détestait et plus elle devenait détestable pour ces personnes-là. Une histoire qui semblait sans fin.

Comme à l'habitude, Johan était censé et franche. Il ne prenait pas de pincettes avec Dusty et avait toujours été sincère sans pour autant être blessant. C'était une des choses que Dusty appréciait chez le jeune homme. Bien évidemment, elle levait les yeux au ciel face aux remarques de Johan.

- Tu es tellement.. tellement... terre-à-terre. Un peu de folie n'a jamais fait de mal à personne. Ah mais j'oubliais, nous sommes déjà tous fous dans cet institut-prison.

Puis elle finissait son verre d'une traite avant de se mettre en tailleur sur canapé pour continuer de zapper. Elle s'arrêtait finalement sur une émission retraçant la vie passée de la défunte Maryline Monroe tout en écoutant la question de Johan qui la laissait de marbre les premières secondes. Pourquoi était-elle si différente avec les autres ? Johan était malin, elle devait bien l'avouer.

- Est-ce que c'est une façon détournée de me demander pourquoi est-ce que je suis comme ça avec toi, plutôt ? Imbécile.

Dusty soupirait, puis s'étirait. Elle adorait Johan, sincèrement, mais ce n'était pas pour autant qu'elle jouerait de belles paroles mielleuses, non, elle n'était pas du genre. Elle avait une manière bien à elle de montrer ses sentiments aussi froids fussent-ils, et personne ne le remarquait forcément. Elle était tout comme ses parents lui avaient insufflés leur amour : par achat. Absents à ses spectacles scolaire où elle prônait le premier rôle à chaque fois ? Pas grave, ils lui offraient une nouvelle maison de poupées. Pas non plus là le jour de son anniversaire ? Pas de soucis, le personnel s'était déjà occupé de lui préparer une fête avec un poney en guise de premier cadeau. Et Dusty marchait un peu de cette manière de faire, mais à sa façon.

- Entre nous, tu as ce quelque chose qui te différencie de tout ces autres " pseudo apprentis-héros ". C'est sûr, tu ne brilles pas de ta prestance, mais moi j'ai vu ce qui comptait réellement.

Elle le gratifiait d'un sourire étrange sans rajouter un mot. C'était sa réponse.

- Et toi alors, je pourrais te retourner la question ? Pourquoi tu ne rejettes pas à ton tour ? Si tu me dis que c'est parce que je t'effraie, je jure de posséder ton âme pour la torturée !

- J'ai tout simplement aucune raison de te rejeter. Répondit aussitôt Johan, sans vraiment prendre le temps à la moindre réflexion. Effectivement, il n'avait aucune raison de montrer la moindre haine envers Dusty. Cependant, il aurait été facile de suivre les autres, de se mettre à détester tout autant cette fille, sans même prendre la peine de la connaître. Bien des bruits - concernant Dusty - courraient dans le couloirs, impossible d'ignorer son existence, elle savait faire parlé d'elle, sans même bouger le petit doigt parfois. Johan se souvenait parfaitement du jour où il était tombé nez à nez avec Dusty, il ignorait encore que c'était elle l'horrible pensionnaire dont tout le monde brossait un bien ragoûtant portrait. Une première rencontre qui avait débuté quelques jours après l'arrivée du jeune Desmer. Un moment d'inattention et PAF ! Une légère bousculade que Dusty avait animée par quelques paroles, autant dire que Johan avait manqué de la détester ce jour-là. Finalement non, ils étaient devant une télévision, un verre dans la main, se posant des questions qui occupaient leur esprit.

Buvant lentement le jus de kiwi, Johan songeait un instant à la réponse que lui avait donné Dusty. Elle lui trouvait quelque chose de différent, une réponse qui manquait de précision, mais inutile d'en demander d'avantage pour le moment, Dusty n'avait certainement pas envie de détailler le pourquoi du comment ; déjà qu'elle venait de l'informer que sa prestance n'était pas des meilleurs, chose à laquelle il laissa apparaître un bref sourire, plutôt amusé qu'autre chose. Oh non, Dusty Derris ne l'effrayait pas, elle pouvait donc laisser son âme en paix.

-Tu comptes faire quoi une fois que tout ça sera terminée ? Enfin, je veux dire...une fois que tu sauras contrôler tes aptitudes ?

Et non pouvoir. Johan avait du mal avec ce terme, il préférait utiliser 'capacité' ou bien 'don' ou encore 'aptitudes' comme il l'avait prononcé à l'instant. Une question qui n'était – non plus – posée par hasard, Johan avait entendu quelques dires sur le cas Dusty Derris, un petit groupe qui semblait sûr et certains que la jeune fille ne ferait pas long feu dans ce pensionnat. Surpris ? Pas vraiment, il était clair que Dusty ne portait pas ce lieu dans son cœur, d'ailleurs c'était la première à considérer l'endroit comme une prison. Johan trouvait cela assez dommage qu'elle ait ce genre de vision, pourtant l'Institut n'avait rien d'une prison, certes il y avait des règles à respecter, mais aucune qui enchaînait la liberté de chacun.

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